samedi 3 octobre 2020

EZECHIEL 27

 

V 1 à 10 : complainte sur Tyr

Chargé de prophétiser sur la ruine de Tyr, la cité qui est au cœur du négoce international, Ezéchiel est appelé de la part de Dieu à entonner une complainte qui dresse le portrait élogieux de la ville et la ruine qui l’attend. Présente dans le livre des psaumes, la complainte n’a pas pour habitude de s’intégrer dans le culte actuel du peuple de Dieu. Il y a là un manque évident si l’on considère que sur les 150 psaumes de la Bible, un bon tiers se distingue par cette connotation. A ce sujet, Janie Blough fait la remarque suivante :

« Une foi honnête exige des expressions de lamentation. Que ce soit par la bouche de Job, de David ou des prophètes dans l’Ancien Testament, et de Jésus dans le Nouveau, la Bible est remplie de cris de souffrance. L’absence de « plainte » lors des cultes est un phénomène récent. En regardant de près l’Ecriture, l’expression de la « lamentation » est largement présente lorsque le peuple de Dieu se réunit. Le meilleur exemple, ce sont les psaumes qui occupent un rôle unique comme source de prière et de chant dans la liturgie du peuple de Dieu de l’Ancien et du Nouveau Testament. Utilisés dans le culte individuel et collectif, considérés comme indispensables, ils étaient lus, récités et chantés pour louer Dieu, pour progresser dans la foi, pour encourager face aux épreuves, et comme expression de reconnaissance.[1] »

Que dit la complainte écrite par Ezéchiel et inspirée par Dieu sur Tyr ?

1.        Elle utilise une métaphore, celle d’un navire, pour imager ce qu’elle est. La métaphore illustre à merveille la réputation qu’avait Tyr auprès des autres nations. Tyr était la championne du commerce maritime international et les Phéniciens reconnus comme de grands navigateurs. « A partir du Xe siècle avant J.C., les Phéniciens commencent à se répandre au-delà de la Méditerranée orientale, après avoir établi des bases à Chypre. Ils créent des comptoirs sur la côte nord-africaine, jusqu’en Tunisie et en Algérie, mais aussi en Sicile, à Malte, en Sardaigne, en Corse et dans le sud de l’Espagne… Partis de cités-Etats sur la côte libanaise (Tyr), les phéniciens ont essaimé dans tout le monde antique, fondé un empire qui a fait trembler Rome, et auraient même bouclé le premier tour des côtes d’Afrique.[2] »  

2.       Elle exprime les sentiments que Tyr ressent à son propre sujet. Grisée par le luxe dans lequel elle vit, Tyr en vient à s’adorer elle-même, à s’extasier face à ce qu’elle est devenue. L’Ecriture montre qu’elle n’est pas la seule à faire l’expérience de cette auto-idolâtrie. « Ta sagesse et ta science t’ont séduite, dit Esaïe à propos de Babylone, et tu disais en ton cœur : Moi, et rien que moi ! : Esaïe 47,10. » « Voilà donc cette ville joyeuse, dit Sophonie au sujet de Ninive, qui s’assied avec assurance et qui dit en son cœur : Moi, et rien que moi ! : Sophonie 2,15. » Eprises d’elles-mêmes pour des raisons différentes, les trois villes, propulsées un temps au sommet de la gloire, connaîtront chacune le même sort. Une ruine soudaine fondra sur elles pour leur rappeler que la gloire n’appartient pas à l’homme, mais à Dieu. Lui seul, en effet, en est digne ! Car c’est de lui, par lui et pour lui que sont toutes choses.

La chute de toutes les étoiles du monde devrait nous rappeler à tous et pour toujours une vérité immuable. Cette vérité est que la gloire ne sied pas à la créature. Preuve en est par le fait qu’elle est incapable de la connaître sans tomber immédiatement dans la vanité, l’orgueil ou la suffisance. Il n’y a certes rien de mal à être beau, fort ou intelligent. Le désir de Dieu n’est pas que nous restions des créatures médiocres, sans attrait ou stupides. La question est plutôt de savoir quelle place nous reconnaissons à Dieu dans la réussite à laquelle nous sommes parvenus. Car s’il y a en nous quelque beauté, quelque force ou quelque intelligence, ce n’est pas d’abord à nous, mais à Lui que nous le devons.

3.       Elle témoigne du fait que c’est du commerce avec tous les peuples avec qui elle a eu des échanges que procède sa richesse. La coque du navire qu’est Tyr est faite en cyprès de Senir (ancien nom local pour le mont Hermon : Deutéronome 3,9). Son mât a été fait dans un cèdre du Liban. Ses rames proviennent des chênes du mont Basan. Son pont a été fabriqué avec un ivoire venant d’Assyrie et importé de Kittim (Chypre). Ses voiles et son pavillon ont été tissés avec des étoffes issues d’Egypte et des îles d’Elisha (Elisha était un fils de Javan, père de la Grèce : Genèse 10,4). Ses rameurs venaient de Sidon, cité située à 35 km au nord de Tyr, passée sous sa domination, et d’Arvard, une île fortifiée située à 50 kms au nord de Tripoli. Ses agents de maintenance étaient des ouvriers venus de Guebal, autre nom de la ville de Byblos, située au nord de Beyrouth (les Guibliens participèrent en son temps à la construction du temple de Salomon : 1 Rois 5,18). Ses soldats furent recrutés en Perse (l’Iran actuel), à Lud et à Puth au nord de l’Afrique. Ils étaient tous des hommes de guerre prestigieux et valeureux.

4.       Elle rend compte du réseau commercial impressionnant qu’avaient développé les Phéniciens au pinacle de leur prospérité.

Tyr traitait avec Tarsis, au sud de l’Espagne, pour ses besoins en minerai d’argent, de fer, d’étain et de plomb : cf Jérémie 10,9. Elle lui fournissait en échange ses denrées. De Javan (la Grèce), Tubal et Méschec, elle importait contre des marchandises des esclaves et des objets de bronze. De la communauté de Togarma (l’Arménie), elle faisait venir ses chevaux de traits et d’attelage. Israël et Juda, dont la ruine la réjouit, étaient aussi du nombre de ceux avec qui elle entretenait des échanges commerciaux, ainsi que l’Arabie. De partout, à partir de son port, s’élançaient ses navires pour faire commerce avec toutes sortes de nations pour toutes sortes de produits : blé, miel, huile, lin, vin, fer, parfum, couvertures pour chevaux, bétail, pierres précieuses, or, habits de luxe, tapis, broderie, cordages… Habitant à Tyr, il n’était nul besoin de voyager pour s’équiper en matériel venant de pays étrangers. Tout était là à profusion. Tyr était la maîtresse de l’import/export.

5.       Elle rend compte du drame que représente la chute de Tyr pour le réseau qu’elle alimentait 

Qui travaille dans le monde de l’entreprise sait à quel point la santé de l’une influe sur la prospérité de l’autre. Qu’un consortium vienne à faire faillite, aussitôt ce sont de multiples sous-traitants ou clients qui sont en péril. La chute de Tyr, la reine des mers et du commerce mondial, sera en elle-même une nouvelle stupéfiante. Le pire sera pour le monde les répercussions que sa disparition entraînera. On en trouve l’écho dans l’Apocalypse, à la nouvelle de la chute de Babylone, la Tyr de la fin des temps. «   Et les marchands de la terre pleurent et sont dans le deuil à cause d’elle, parce que personne n’achète plus leur cargaison, cargaison d’or, d’argent, de pierres précieuses, de perles, de fin lin, de pourpre, de soie, d’écarlate, de toute espèce de bois de senteur, de toute espèce d’objets d’ivoire, de toute espèce d’objets en bois très précieux, en airain, en fer et en marbre, de cinnamome, d’aromates, de parfums, de myrrhe, d’encens, de vin, d’huile, de fine farine, de blé, de bœufs, de brebis, de chevaux, de chars, de corps et d’âmes d’hommes : Apocalypse 18,11 à 13. » La chute de Tyr est l’exemple même du côté pervers de la mondialisation si vantée aujourd’hui.

6.       Elle rend compte du caractère soudain, totalement inattendu et imprévisible de la chute de Tyr

Là encore, le même écho se fait entendre au sujet de la Babylone dernière, qui est la copie conforme de Tyr. « Et tous les rois de la terre, qui se sont livrés avec elle à l’impudicité et au luxe, pleureront et se lamenteront à cause d’elle, quand ils verront la fumée de son embrasement. Se tenant éloignés, dans la crainte de son tourment, ils diront : Malheur ! malheur ! La grande ville, Babylone, la ville puissante ! En une seule heure est venu ton jugement ! : Apocalypse 18,9 et 10. »

Si, pour le monde, la rapidité avec laquelle Tyr s’écroulera sera une cause d’effroi, pour les justes, elle est une source de réconfort. L’effondrement de Tyr, à l’image de celui des grands empires qui ont dominé le monde, est le rappel qu’aucune puissance n’est invincible. Il suffit en effet d’une heure à Dieu pour mettre à bas une hauteur que l’on pensait indestructible. Les géants que le monde bâtit ont tous des pieds d’argile qui ne résistent pas à la poussée du royaume de Dieu. Aussi ne devons-nous pas craindre leur arrogance du présent. Elle sera la marque de leur honte demain, au jour où Dieu décidera de mettre fin à leurs prétentions insensées.



[1] https://www.editions-mennonites.fr/2017/01/exprimer-la-plainte-au-culte/

[2] https://www.courrierinternational.com/article/2013/08/01/les-pheniciens-ces-grands-navigateurs#:~:text=Et%20ce%20peuple%20de%20marchands,dans%20tout%20le%20monde%20antique.

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