Le jugement, dit l’apôtre Pierre, commence par la maison de Dieu : 1 Pierre 4,17. La raison en est que c’est elle qui, dans le monde, porte la lourde mission d’être l’habitacle de sa présence. Parce qu’Israël a échoué dans cette mission, il est le premier à connaître le jugement. Tout ce qui faisait de lui un peuple privilégié lui est retiré. Israël perd sa terre, sa sécurité, son temple. La gloire de Dieu qui l’habitait se retire, laissant derrière elle une coquille vide. Israël perd avec la désertion de son Dieu sa fierté et sa gloire. Sa disparition, en tant que nation, est un coup de tonnerre. Car Israël n’est pas né de la bravoure d’un chef, ou de la puissance d’un conquérant. C’est aux victoires militaires d’un Nébucadnetsar que les Babyloniens doivent l’accroissement de leur empire et au génie d’un Alexandre le Grand que les Grecs se feront un nom dans l’histoire. Israël, quant à lui, n’est rien, juste un peuple esclave en Egypte. Il doit son affranchissement non à un homme, mais aux prodiges que Dieu a fait pour lui. Le nom, la gloire et la réputation de Dieu sont inextricablement liés à l’existence d’Israël.
Aussi, la disparition d’Israël en tant que nation dépasse le cadre des jeux de pouvoir qui sont la raison habituelle de l’élévation d’une puissance et de l’abaissement d’une autre. Avec Israël, c’est la prétention de Dieu d’être le Dieu unique et véritable qui est en cause. Les nations ennemies d’Israël le savent. Aussi, la chute d’Israël, la prise de Jérusalem et la destruction du temple ont pour elles un retentissement qui dépasse la bonne nouvelle que représente la défaite d’un ennemi. Elles sonnent le glas de la vanité d’Israël s’identifiant dans le cortège des nations comme le peuple élu de Dieu.
La partie du livre d’Ezéchiel que nous abordons traite du sujet du jugement de ces nations, réputées pour leur hostilité envers Israël. Comme ce fut le cas pour Israël, elles sont jugées, non seulement pour leur propres péchés, mais pour les faits dont elles se sont se rendues coupables dans leur animosité contre Dieu. Il faut que ces nations apprennent que, indépendamment d’Israël, Dieu est Dieu. Comme Israël, elles ont aussi à lui rendre compte de leurs actes. Leur haine contre le peuple élu, leur joie au vu des malheurs qui l’atteignent, leur participation active à sa destruction sont autant de sujets qui attirent sur eux son courroux. Israël est au milieu d’eux un révélateur de leur orgueil et de leur arrogance. Alors qu’Israël a retrouvé sa terre et sa place parmi nous, les paroles d’Ezéchiel prennent un air d’une surprenante actualité. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Le monde sera jugé, non seulement pour ses abominations, ses crimes et son idolâtrie, mais pour son attitude envers Jésus-Christ, le Dieu de la révélation, le Dieu d’Israël.
CHAPITRE 25
V 1 à 7 : sur Ammon
Le premier peuple sur lequel Ezéchiel prophétise le jugement de Dieu, en-dehors d’Israël, est les Ammonites. Il sera suivi par les Moabites et les Edomites. Le choix que fait l’Eternel de débuter la série d’oracles qu’il va ordonner à Ezéchiel de prononcer contre les nations par ces 3 peuples, ne doit rien au hasard. Ammon, Moab et Edom ne sont pas, comme les autres peuples, des étrangers pour Israël, mais ses cousins. C’est en effet de la descendance de Loth, le neveu d’Abraham, que les deux premiers sont nés : Genèse 19,37-38, tandis qu’Edom est l’autre nom d’Esaü, le frère jumeau de Jacob : Genèse 25,30. Après Israël, son peuple, l’Eternel s’en prend pour les juger aux peuples qui lui sont le plus proches par les liens de parenté. Issus de la même racine qu’Israël, ces peuples portent, à cause de leur origine commune, une responsabilité accrue quant à leur attitude hostile envers lui. Que l’Egypte, Babylone, ou toute autre nation étrangère manifestent à l’égard d’Israël de l’animosité et une volonté de conquête, c’est une chose. Mais que dans le propre clan d’Abraham, on se réjouisse du mal qui arrive à son parent, cela ne peut que constituer, aux yeux de la justice de Dieu, un facteur aggravant.
Alors qu’Ammon comparaît au tribunal de Dieu, on pourrait s’attendre à ce que soit dressée devant lui la liste de tous les forfaits qu’il a commis en tant que nation. Ce n’est pas le cas. L’Eternel ne veut retenir comme charges contre lui que l’attitude qui fut la sienne au jour des malheurs qui scellèrent le destin de la nation hébraïque. Les autres crimes commis par Ammon existent. Mais, au regard du cynisme dont il fit preuve en ce jour, ils ne valent pas la peine d’être évoqué. Le fait que Dieu ne retient que ce fait contre Ammon pour prononcer le verdict qui le condamne ne devrait pas nous surprendre. Lors d’un jugement, aucun tribunal ne retient contre un prévenu les délits mineurs qu’il a commis s’il comparaît pour un crime majeur. Ce crime écrasant tous les autres, c’est pour l’avoir perpétré qu’il sera condamné. Le plus grand crime d’Ammon, proche parent d’Israël, celui qui écrase tous les autres, tient en une seule chose. Il est de s’être réjoui, d’avoir exulté de joie et de satisfaction au jour où le sanctuaire de Dieu a été profané, le territoire d’Israël dévasté et le peuple de Juda exilé. « Enfin, Israël n’existe plus ! Quelle joie de le voir désormais réduit à rien ! Depuis le temps que l’on espère cela ! Peuple élu, Israël n’a que ce qu’il mérite ! C’est l’heure, non de nous attrister pour ce qui lui arrive, mais de faire la fête ! » Celle-ci, répond Dieu, sera de courte durée. Car, de même qu’Israël a été écrasé par une puissance étrangère, ainsi en sera-t-il des fils d’Ammon. Il sera fait à Ammon la même chose que ce qui a été pour lui une cause de joie lorsque c’est arrivé au peuple de Dieu. Cinq ans après Juda, en 581 av J-C, les Ammonites seront à leur tour conquis et leur Etat définitivement anéanti. A cause de sa proximité parentale avec Israël, le cynisme dont a fait preuve Ammon au jour de son malheur est le crime qui a appelé sur eux ce jugement. Il fallait qu’Ammon apprenne aussi ce qu’Israël dut apprendre par la désertion de son Dieu. Cette leçon est que Dieu, le Dieu d’Israël, est le vrai Dieu, le Dieu auquel doivent rendre compte in fine tous les peuples.
V 8 à 11 : Sur Moab
Frères par le sang des Ammonites, les Moabites sont eux aussi mis en jugement par l’Eternel en raison de leur attitude à l’égard d’Israël. S’ils ne semblent pas avoir sauté de joie à la nouvelle de la destruction du pays, de son temple et de l’exil de ses habitants, comme le firent les Ammonites, les Moabites n’ont pas manqué d’afficher lors de ces événements leur mépris à l’égard du peuple élu. « Israël se vantait d’être le peuple choisi de Dieu. Regardez l’état dans lequel se trouve ce peuple mis à part ! Israël est comme les autres nations. Son Dieu n’est pas différent des autres dieux ! Au moment où Israël passe par la détresse, il est incapable de le secourir, dirent-ils ! » Comparée à la joie diabolique dont ont fait preuve les Ammonites à la nouvelle de la déportation de Juda, le dédain des Moabites paraît moins condamnable. Il n’en demeure qu’aux yeux de Dieu leur péché, issu de la même racine, mérite la même condamnation. Toucher à la spécificité d’Israël, c’est toujours attenter à la gloire et au témoignage du Dieu qui l’a suscité. Tous les peuples de la région savent, connaissent ce que l’Eternel a fait pour Israël. Ils ont vu, entendu comment, d’un peuple d’esclaves, il en a fait un peuple libre. Ils ont été témoin des prodiges qu’il a accompli en leur faveur lors de leur sortie d’Egypte et au moment de la conquête de Canaan. Fort de cette connaissance, Moab aurait dû veiller à l’interprétation qu’il s’est fait du malheur qui frappe Israël. Celui-ci n’efface en rien l’histoire, ni n’infirme le statut du peuple élu. Il est un avertissement pour Israël, mais aussi pour tous les peuples, une invitation à craindre son Dieu qui ne fait acception de personne. Après Israël, le territoire de Moab fut conquis par les Babyloniens en 580 av J-C. Il cessa alors pour toujours d’exister en tant qu’entité identifiable.
Bien que disparus, les Moabites sont toujours parmi nous. Ils sont identifiables aujourd’hui dans la population à tous ceux qui, voyant les malheurs qui frappent les croyants, les méprise en tant qu’élus. « Regardez ces croyants qui se disent les bien-aimés de Dieu ! Ils ne sont pas différents des autres hommes. Eux aussi connaissent la détresse, le malheur, le deuil, la maladie. Ils ne sont pas plus épargnés que les autres. » L’argument est facile et commode. Il offre à ceux qui ont décidé de ne pas reconnaître le témoignage historique de Dieu parmi les siens, la justification qui leur permet de poursuivre dans la même voie. Le jugement des Moabites montre qu’ils ne s’en tireront pas à si bon compte. Le temps viendra où ils devront eux aussi faire face à ce Dieu dont ils ne veulent pas. Avec le peuple de Dieu, ils reconnaîtront, par le jugement qui les frappera, que Dieu est bien Dieu.
V 12 à 14 : sur Edom
Mentionné ici avec les deux autres peuples liés par le sang à Israël, Edom sera plus tard encore l’objet d’une prophétie détaillée d’Ezéchiel : ch 35. Comme il en est pour Ammon et Moab, l’acte d’accusation dressé contre Edom par l’Eternel est précis. Tous les trois sont unis par la même hostilité contre leur frère de sang. Mais celle-ci a pour chacun une nuance différente. La motivation principale qui a mû la réaction d’Edom au jour de la faiblesse d’Israël fut la vengeance. Alors que des inconnus pillaient le pays, dit Abdias qui consacre toute sa prophétie à Edom, les Edomites se comportèrent comme eux. Ils agissaient envers Israël comme s’il n’y avait entre eux aucun lien, aucune affinité familiale : cf Abdias 1,10-11. Edom, en ce temps, ne pensa qu’à une chose : assouvir sa vengeance contre son frère. Comme il n’en avait pas seul les moyens, il saisit l’occasion que lui offrait la conquête babylonienne pour se joindre aux ennemis de son frère. Pour quelle raison Edom nourrissait-il un tel ressentiment envers Israël ? Celui-ci provenait-il du lointain souvenir du vol de la bénédiction paternelle dont fut victime Esaü par Jacob ? Jacob avait certes, avec l’aide de sa mère Rébecca, agi par ruse pour spolier son frère de celle-ci. Mais ce n’était qu’après qu’Esaü ait démontré son mépris pour les avantages que lui conférait son droit d’aînesse qu’il avait vendu pour un plat de lentilles : Genèse 25,29 à 31 ; 27. Des siècles plus tard, les lentilles succulentes n’étaient toujours pas digérées.
La vengeance, dit un proverbe, est un plat qui se mange froid. Oui ! Il est rare que, immédiatement après une blessure, une victime parvienne à faire payer à l’auteur d’un méfait sa souffrance. Des mois, des années peuvent passer avant qu’elle ait l’opportunité d’agir. Dans cette attente, la vengeance se nourrit. Elle mûrit, même si, en façade, il semble que l’affaire soit enterrée. La vengeance, dit l’Ecriture, n’est jamais de Dieu. Car c’est à lui qu’elle appartient. C’est à lui de faire justice et de payer à chacun le salaire que ses actes méritent : Romains 12,19 ; Hébreux 10,30. Pour avoir voulu se venger d’un affront que son père Esaü a cherché, Edom va subir à son tour la vengeance de son frère. Alors qu’Ammon et Moab seront jugés par une puissance étrangère, c’est d’Israël qu’il croyait mort qu’il recevra son châtiment. Au temps où Ezéchiel énonça sa prophétie, sa réalisation paraissait hors de sens. Elle s’accomplira pourtant des siècles plus tard, au temps de Maccabées. Les Edomites, appelés aussi Iduméens, seront alors assimilés à Israël. Après la destruction de Jérusalem par les Romains en 70 ap J-C, l’Idumée et les Iduméens ont disparu de l’histoire.
V 15 à 17 : les philistins
Comme pour Edom, c’est pour leur volonté de vengeance contre
Israël qu’à leur tour les Philistins vont connaître le jugement de Dieu. Aussi
loin que l’Ecriture remonte dans le temps, ce peuple apparaît comme l’ennemi
irréductible du peuple de Dieu. Malgré les nombreuses batailles qui opposèrent
les deux peuples, Dieu refusa cependant de les détruire. Les Philistins, à
cause de leur hargne perpétuelle contre Israël, lui servirent d’instrument de
châtiment. Quand Israël se détournait de lui, l’Eternel le livrait la plupart
du temps entre les mains des Philistins : Juges
10,7 ; 13,1. Puis, lorsqu’Israël revenait à lui, il suscitait un
juge, tel Samson, qui combattait avec vigueur les Philistins et les obligeait à
retourner dans leur territoire. Animés d’un tel esprit contre Israël, les
Philistins ne purent que se réjouir du malheur qui lui arrivait au travers de
Babyloniens. S’il pouvait contribuer à sa destruction, il n’allait certainement
pas s’en priver. Ils devront apprendre que le Dieu des cieux, qui juge son
peuple, est un souverain impartial. A ses yeux, tout péché encourt sa
condamnation. La haine qui anime les Philistins contre Israël appelle sur eux
le jugement au même titre que l’idolâtrie commise au sein de son peuple. Le
jugement d’Israël a pour but, non de donner à ses ennemis l’occasion d’assouvir
leur vengeance contre lui, mais de les avertir. Si Dieu peut être sévère à l’extrême
contre le peuple qu’il a racheté, à combien plus forte raison le sera-t-il
envers les nations qui méprisent son Nom et son témoignage. Que les peuples
qui, aujourd’hui, sont animés du même état d’esprit que les Philistins l’apprennent !
Les vengeances de Dieu surpassent en fureur celles de l’homme. Malheur à ceux
qui en sont l’objet !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire