jeudi 17 septembre 2020

EZECHIEL 24

V 1 et 2 : une date à retenir

Il y a, dans l’histoire de toute nation, des dates marquantes. Les jours que ces dates nous invitent à retenir ne sont pas comme les autres. Ils représentent un tournant dans l’histoire du pays concerné. Ainsi en est-il pour la France du 14 juillet 1789, jour de la prise de la prison de la Bastille. Cette date marque pour la France un avant et un après. Elle est, selon la tradition historiographique, considérée comme la première intervention d’ampleur du peuple parisien dans le cours de la Révolution et dans la vie politique française[1]. Les dates décisives de l’histoire d’un pays sont toujours attachées à des lieux ou des localités précises. La ville de Saint-Quentin, à proximité de laquelle j’habite, en fait partie. Le 10 août 1557, la ville fut prise, après une résistance héroïque menée par l’Amiral protestant Gaspard de Coligny, par les Espagnols qui massacrèrent les vaincus. L’hécatombe fut telle qu’elle suscita une prise de conscience salutaire au souverain d’Espagne sur les malheurs qu’entraîne la guerre sur les populations.[2]

Il en est de l’histoire du peuple de Dieu comme de celle de toutes les nations. Son parcours est marqué par des dates qui sont autant de bornes destinées à en évoquer le souvenir. La première date qu’Israël ne devait jamais oublier est celle de sa sortie d’Egypte. Elle est sa date de naissance, le jour qui marque sa fondation en tant que nation. Ce jour, appelé à être évoqué, devait rappeler à Israël qu’il n’existe que grâce à la rédemption que Dieu a opéré pour lui avec puissance, gloire et magnificence. Il célébrait la Pâque de l’Eternel, jour du salut et de la délivrance. La date que Dieu demande ici à Ezéchiel d’inscrire pour souvenir n’a pas le même écho. Elle a pour but de rappeler au peuple, pour les décennies à venir, le jour où le roi de Babylone a débuté le siège de Jérusalem. Ce jour n’est pas un jour heureux, dont on se plaît à raviver le souvenir. C’est un jour funèbre qui marque le début de la fin de l’existence de la nation, l’antinomique même de la date précédente. La raison pour laquelle Dieu demande à Ezéchiel de noter cette date est facile à comprendre. L’Eternel veut, par ce souvenir, qu’Israël garde la mémoire de la ruine à laquelle ont conduit sa désobéissance et son idolâtrie récurrentes. Ce jour doit ne plus être oublié car, s’il est retenu, il peut être salutaire pour l’avenir. Le but de ce rappel douloureux est que l’histoire ne se répète pas. Le peuple de Dieu peut-il apprendre de ses fautes ? C’est ce à quoi Dieu, dans sa grâce, travaille. Puissent les jours mauvais de notre histoire personnelle comme communautaire être des balises salvatrices pour l’avenir !

V 3 à 14 : parabole de la marmite rouillée

Devenu dur d’oreille, le peuple de Juda a besoin qu’on utilise pour communiquer avec lui un langage qui lui parle. La parabole servant ce but, l’Eternel demande à Ezéchiel de lui en fournir une nouvelle qui souligne une fois de plus la raison pour laquelle le jugement si sévère de Dieu va le frapper. Cette parabole est la dernière qui lui sera adressée. Elle sert de conclusion à tout le discours tenu par Ezéchiel depuis le début du livre. Jusque-là, le prophète a traité la situation contemporaine du peuple auquel il appartient. Par les premières visions, il l’a averti du drame irrémédiable qui l’attend à cause de son idolâtrie et de ses abominations. La gloire de Dieu allait sortir du temple et quitter le pays. Ensuite, il a établi par les faits ce qui vaut à Dieu une telle décision. Partout, dans la pays et dans Jérusalem, le sang est versé. La maison de Dieu est profanée. L’Eternel a beau chercher : il n’a pas trouvé un homme qui se tienne sur la brèche pour faire barrage à la colère qui vient. Tous, princes, prophètes, sacrificateurs sont corrompus. Une date est désormais posée : celle du siège de la ville par le roi de Babylone. Elle inaugure le processus qui va mettre fin à l’existence du royaume.

La parabole que donne Ezéchiel a pour objet principal une marmite rouillée. Dans cette marmite, l’Eternel demande que soient mis les meilleurs morceaux de viande d’un mouton dans de l’eau. Puis il ordonne que la marmite soit chauffée avec son contenu, de manière à ce que le tout soit bouilli. Pour se faire, Ezéchiel doit préparer un grand bûcher qui dynamise le feu avec fureur. Au bout d’un temps, le prophète est invité à retirer les morceaux cuits, tout en laissant la marmite vide chauffer au point que le métal rougisse. Après toutes ces opérations, un constat est fait. Malgré tous les efforts fournis pour détacher la rouille de la marmite, rien n’y a fait. Celle-ci reste comme elle était au départ. L’Eternel ne se contente pas de fournir l’illustration de la parabole. Il en donne aussi le sens à Ezéchiel. Le message que délivre le prophète tient lieu de verdict définitif. Il clôt le ministère du prophète pour les hommes qui sont encore à Jérusalem et annonce la fin du temps de la patience de Dieu à leur égard.

De quoi témoigne la parabole que Dieu a donné à Ezéchiel ? Quel message, en guise de conclusion de l’action de Dieu parmi son peuple, apporte-t-elle ? Elle est de la part de l’Eternel un constat d’échec. Choisi par Dieu, Israël a été au bénéfice, comme nul autre peuple, de grâces et de bienfaits extraordinaires. Des nations ont été chassées devant lui pour qu’il occupe leurs territoires. Dieu a manifesté à maints égards sa puissance en leur faveur. Il leur a donné sa loi, ses promesses. Il est venu habiter parmi eux dans le temple que David a préparé et Salomon a construit. Les meilleurs morceaux mis dans la marmite pour être bouillis en sont le symbole. Mais, depuis le début, un mal incurable pourrit la relation d’Israël avec son Dieu. Une idolâtrie rampante habite le cœur du peuple de Dieu. Tout au long de leur histoire, Israël et Juda ont été à ce sujet l’objet de mesures correctrices de sa part.  Tous les moyens que Dieu a à sa disposition ont été utilisés pour éradiquer ce mal. La colère de Dieu s’est exercée contre les idolâtres. Des rois, tel Josias, se sont élevés pour profaner les hauts lieux sur lesquels le peuple rendait un culte à ses faux dieux. Des prophètes ont été envoyés pour dénoncer le crime, les injustices, la corruption et les péchés commis par les élites du peuple. Mais rien n’y a fait. Dieu a alors retiré sa main protectrice. Des peuples étrangers sont venus de loin pour châtier le peuple de Dieu. Mais celui-ci n’a pas trouvé mieux à faire que d’adopter leurs divinités pour se prostituer à elles. L’Eternel doit en faire le constat. Aucune mesure prise contre Israël n’a le pouvoir de le guérir de sa corruption. Celle-ci est tissée au plus profond de son être. Aussi l’Eternel renonce-t-il à vouloir purifier Israël. Le feu qui va s’abattre sur Jérusalem est le feu de son jugement. Le cœur d’Israël ne peut être changé, guéri, amélioré. Il ne sera nouveau que lorsque Dieu lui-même opérera en lui une circoncision qui en changera la nature : Deutéronome 30,6 ; Ezéchiel 11,18 à 20. Le vécu d’Israël, et la conclusion à laquelle son périple avec Dieu aboutit ici, impose une nécessité : celle de la venue du Messie par qui Israël sera sauvé, non seulement de la colère, mais du mal qui la provoque : le péché inscrit au fond de son être.

V 15 à 24 : Ezéchiel, un signe

Par la parabole de la marmite rouillée, l’Eternel prodigue aux auditeurs d’Ezéchiel l’explication du pourquoi de la sévérité du jugement qui allait consumer Jérusalem jusqu’à la destruction. Mais que signifiait ce jugement pour eux ? Quelle douleur, quel effet aurait-il dans leur âme ? Quelle affliction provoquerait en eux la profanation de leur lieu de culte historique, le temple de Jérusalem ? Pour le savoir, il fallait au peuple plus qu’une illustration, une démonstration. C’est par Ezéchiel, son serviteur, que Dieu va la leur fournir.

C’est tôt le matin que l’Eternel avertit son serviteur du malheur qui allait le frapper dans la journée même : la perte de celle qui faisait la joie de son cœur, sa femme. Il est probable en son temps qu’Ezéchiel ne puisse compter que sur les doigts d’une main les personnes qui lui étaient précieuses. Parmi elles, son épouse occupait la première place. Elle était les délices de ses yeux, une source permanente de réconfort, un soutien indéfectible. L’Eternel dit pas quelle sera la cause du décès de la femme d’Ezéchiel. Ce qu’il précise au prophète, c’est la façon selon laquelle il devra se comporter à la nouvelle de ce choc. Bien qu’affligé au plus profond de lui-même, Ezéchiel devait s’abstenir de réagir selon la coutume de son temps face au deuil d’un proche. Il ne devait élever ni pleurs bruyants, ni lamentations et n’adopter aucune tenue appropriée à la situation. Il ne devait aussi accepter aucune consolation venant d’autrui. L’état qu’Ezéchiel devait simuler était un état de sidération.

Ce que l’Eternel avait annoncé le matin se produisit le soir. Brutalement, la femme d’Ezéchiel expira. Le prophète se comporta à cette nouvelle comme l’Eternel le lui avait demandé. Jusque dans son malheur le plus intime, Ezéchiel ne s’appartenait pas. Il était un signe, un présage entre les mains de Dieu à destination de son peuple. Avec Paul, Ezéchiel aurait pu dire qu’il ne vivait plus lui-même, mais que c’était Dieu qui vivait à travers lui : cf Galates 2,20. Les circonstances de vie d’Ezéchiel n’étaient pas arrangées pour répondre à sa satisfaction, mais au dessein de Dieu pour son peuple. Le bonheur présent d’Ezéchiel lui était précieux. Mais, aux yeux de Dieu, il comptait moins que l’utilisation qu’il pouvait faire du deuil qui allait le frapper.

Il se peut que, bien-aimés de Dieu, nous pensions que Dieu s’honorerait en nous gratifiant d’une vie qui respire la joie, le bonheur, la prospérité. Ezéchiel nous rappelle que la vie qui honore Dieu est celle qui sert ses desseins. Dieu a de multiples messages à faire passer à son peuple comme au monde. Nous sommes les médias qu’il utilise dans ce but. Le prophète de Dieu n’est pas que le porte-voix de Dieu. Il est un signe parmi ses frères, un présage. Le malheur, les souffrances qui lui arrivent précèdent celles qui vont arriver à ses frères. Que Dieu ouvre nos cœurs de manière à ce que nous soyons réceptifs au message qu’il nous fait parvenir par la douleur que connaissent nos frères.

V 25 à 27 : ce jour-là

La perte de sa femme fut pour Ezéchiel si douloureuse qu’elle le plongea dans un état de sidération qui le rendit muet. Lui, le prophète de Dieu, le porteur de ses oracles, n’avait plus rien à dire. Enfermé dans sa souffrance, Ezéchiel n’exprimait plus aucune parole. Cet état dans lequel il se trouvait n’échappait pas à Dieu. Il était à la fois voulu et contrôlé par lui. Le mutisme d’Ezéchiel faisait partie de la mission que Dieu lui avait assigné d’être un signe pour ses contemporains. Il devait durer aussi longtemps que ce que le deuil d’Ezéchiel annonçait n’était pas réalisé. Au jour où Jérusalem perdrait son temple, ses fils et ses filles, Ezéchiel retrouverait l’usage de la parole. Ce jour-là, chacun comprendrait alors que c’est l’Eternel qui parlait et que c’était lui qui était à l’origine du malheur total qui frappait Juda.

La correspondance parfaite entre le calendrier de Dieu et le vécu personnel du prophète témoigne une fois de plus à quel point celui-ci ne s’appartient plus. Si cette réalité peut effrayer, elle est aussi rassurante. Dans son état de sidération, Ezéchiel était plongé dans une détresse qui devait lui paraître au-dessus de ses forces. Job ou Jérémie, dans leur douleur, avait encore la force de se répandre en plaintes et lamentations devant Dieu. Ezéchiel était si abattu qu’il ne le pouvait pas. Les moments de ténèbres dans lesquels il se trouvait n’étaient pas hors de portée de la garde de Dieu. Ils étaient sous contrôle au même titre que ceux au cours desquels, saisi par l’Esprit, Ezéchiel délivrait la parole que Dieu lui révélait. La souveraineté de Dieu s’exerce la nuit comme le jour. C’est pourquoi les psalmistes le louent pour sa fidélité au temps de l’obscurité. Dieu est celui qui ordonne et décide de tout, aussi bien sur le plan de l’histoire des peuples, de l’Eglise ou de la vie personnelle des siens. Que cette réalité, maintes fois démontrée dans sa Parole, donne à ceux qui passent par quelque affliction, la consolation et le repos dont ils ont besoin.



[1]https://fr.wikipedia.org/wiki/Prise_de_la_Bastille#:~:text=Bien%20que%20d%C3%A9corr%C3%A9l%C3%A9e%20de%20la,nouvelle%20se%20r%C3%A9pand%20dans%20Paris.

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Saint-Quentin_(1557)

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